Après deux procès perdus et un pourvoi en Cassation rejeté, les magistrats de la plus haute instance judiciaire du Mexique ont mis fin à la captivité de Florence Cassez, qui avait été condamnée à soixante ans de prison. L’épilogue d’un imbroglio juridique et politique qui a divisé les Mexicains et provoqué une crise diplomatique entre Paris et Mexico.Le matin du 9 décembre 2005, les Mexicains découvrent au journal télévisé le visage de la Française, arrêtée en "flagrant délit" aux côtés de son ami Israel Vallarta, accusé d’être le chef d’un gang de kidnappeurs. Trois otages sont libérés dans le ranch de ce dernier, près de Mexico.En réalité, tous les deux ont été interpellés la veille sur une autoroute, non loin de là. "Je n’ai rien fait !", martèle la jeune Lilloise. Mais, pour des millions de Mexicains, Florence Cassez devient "la secuestradora" (la kidnappeuse), incarnation d’un fléau national.Le 5 février 2006, la jeune femme dénonce pourtant cette mise en scène lors d’une émission télévisée, dont l’invité n’est autre que le chef de la police, Genaro Garcia Luna, contraint d’avouer en direct la manipulation. Mais, dans la foulée, deux des trois personnes retrouvées dans le ranch, qui assuraient n’avoir jamais vu la Française, l’accusent subitement. Ces déclarations pèseront lourd lors de son procès, le 27 avril 2008. Le juge la condamne à quatre-vingt-seize ans de prison pour trois enlèvements, crime organisé et port illégal d’arme.En France, un comité de soutien est créé par ses parents, avec l’aide de l’avocat Franck Berton. L’appui de Nicolas Sarkozy leur redonne espoir. Une visite officielle du président français est prévue au Mexique, le 9 mars 2009. Sept jours avant sa rencontre avec son homologue mexicain, Felipe Calderon, la Cour d’appel inflige à la Française une peine de soixante ans de prison. A Mexico, M. Sarkozy prend sa défense lors d’un discours prononcé au Sénat, critiqué vivement par la presse.En coulisses, le transfèrement en France de la condamnée n’en est pas moins évoqué par les deux chefs d’Etat, selon la convention de Strasbourg, dont les deux pays sont signataires. Mais trois mois plus tard, cette option est publiquement rejetée par M. Calderon sur le motif de l’incompatibilité des peines entre les deux pays."L’ABSOLUE INNOCENCE" DE LA JEUNE FEMME RECONNUE PAR L’ÉGLISE MEXICAINEL’année suivante, le vent semble tourner en faveur de la Française. Le parquet général reconnaît enfin le montage de son arrestation. Mieux, le 30 novembre 2010, la conférence épiscopale du Mexique annonce "l’absolue innocence" de la jeune femme. Sans compter l’appui de la Commission des droits de l’homme de Mexico qui dénonce les violations des garanties élémentaires de la condamnée par la police.Le 10 février 2011, les juges rejettent pourtant son pourvoi en Cassation. Le gouvernement français s’insurge, dénonçant un "déni de justice". Un mois plus tard, M. Sarkozy annonce que l’Année du Mexique en France, qui a débuté le 3 février, sera dédiée à Florence Cassez. Une décision inacceptable pour le gouvernement mexicain, qui réplique par l’annulation de sa participation aux festivités. L’opinion publique mexicaine fait bloc derrière ce boycottage. L’écrivain Carlos Fuentes affirme que M. Sarkozy se comporte comme "un dictateur d’une république bananière".Des associations de lutte contre l’insécurité montent aussi au créneau. En tête, Alto al Secuestro ("halte aux enlèvements"), dirigée par Isabel Miranda de Wallace qui, la veille du rejet du pourvoi en cassation, appelle "le pouvoir judiciaire et le gouvernement (…) à ne pas céder aux pressions de la France".Pourquoi un tel blocage ? "Le montage de l’arrestation de Mme Cassez révèle les manipulations médiatiques de Genaro Garcia Luna, devenu ministre de la sécurité publique du gouvernement Calderon, explique Jenaro Villamil, journaliste d’investigation à l’hebdomadaire de gauche Proceso. On le surnomme "GL Productions" pour ses montages télévisés d’arrestation, dont celle de Cassez est loin d’être une exception."Et Jorge Castañeda, ancien ministre des relations extérieures, d’ajouter : "Difficile pour Calderon de désavouer son ministre chargé de mener la guerre contre les cartels de la drogue, qui a fait plus de 25 000 disparus et 65 000 morts".En face, Florence Cassez ne désarme pas. Le 7 mars 2011, son avocat mexicain dépose un recours pour inconstitutionnalité devant la Cour suprême du Mexique, qui se déclare compétente pour l’examiner. Un an plus tard jour pour jour, le juge Arturo Zaldivar, rapporteur de son cas, propose publiquement sa "libération immédiate", qui sera examinée deux semaines plus tard.La tension est à son comble à la veille de l’ouverture de la campagne pour l’élection présidentielle, le 30 mars 2012. "Le cas est passé d’une affaire franco-mexicaine à une véritable affaire d’Etat, déclenchant une bataille médiatique entre ceux qui veulent réformer une justice défaillante et ceux qui soutiennent la police", raconte José Antonio Ortega, président du Conseil citoyen pour la sécurité publique et la justice pénale.LES DROITS DE L’HOMME AU CŒUR DU PROGRAMME ÉLECTORALDes juristes renommés et des défenseurs des droits de l’homme se mobilisent pour la libération de la condamnée. Mais Mme Miranda de Wallace, candidate à la mairie de Mexico du Parti d’action nationale (PAN, droite), la formation du président Calderon, mène une campagne énergique contre la Française, au nom du respect du droit des victimes. Le 13 mars, elle dépose une contribution écrite aux cinq juges, en compagnie de deux des trois victimes présumées. Sans compter les pressions exercées par des représentants de la présidence, du parquet et du ministère de l’intérieur, qui ont rencontré les juges.Le 21 mars 2012, les hauts magistrats ne parviennent pas à un accord. Toutefois, quatre, sur les cinq, reconnaissent les irrégularités de procédure. Le cas est renvoyé à un nouvel examen. Dix mois plus tard, ce dernier a abouti à la libération de Florence Cassez, dans un contexte bien plus favorable à l’ancienne condamnée.Deux événements intervenus le 1er décembre ont joué en sa faveur : la nomination à la Cour suprême du juge Alfredo Gutierrez Ortiz Mena, qui a voté pour sa libération, et la fin du mandat du président Calderon. " A la différence de son prédécesseur, le nouveau président, Enrique Peña Nieto, du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre), a placé le respect des droits de l’homme au cœur de son programme en matière de sécurité publique", souligne Ana Laura Magaloni, professeur de droit au Centre de recherche et d’enseignement économiques (CIDE).Le 17 octobre 2012, lors de la rencontre à Paris entre le président élu du Mexique et François Hollande, M. Peña Nieto s’était engagé à laisser la justice suivre son cours. Les alternances ont été propices à la libération de la Française, mais aussi à la relance des liens diplomatiques entre les deux pays.