Trump ravive le nationalisme des Mexicains

Le président Peña Nieto, dont la popularité est en berne, cherche à capitaliser sur « l’unité nationale »

Frédéric Saliba

 

Mettre le drapeau vert, blanc et rouge du Mexique comme photo de profil sur son compte Twitter ou Facebook est devenu le signe de ralliement de milliers de Mexicains qui font bloc contre Donald Trump. Les attaques répétées du nouveau président américain contre leur pays exaltent la fibre patriotique d’un peuple qui se sent humilié et menacé par son puissant voisin.

Simples citoyens, hommes politiques, patrons, artistes ou intellectuels se mobilisent sur les réseaux sociaux et dans les rues pour défendre leur souveraineté et leurs émigrés aux Etats-Unis. Alors que le Mexique a célébré, le 5 février, le centenaire de sa Constitution, cette réaction de fierté collective fait écho à l’appel lancé par le président Enrique Peña Nieto à l’« unité nationale ». Mais des voix se lèvent pour dénoncer la récupération politique du phénomène par un président dont la popularité est en berne.

Le hashtag #TodosSomosMexico (« Nous sommes tous le Mexique ») bat des records d’utilisation sur Internet. Indignés par les propos xénophobes de M. Trump, qui a traité les Mexicains de « criminels » et de « violeurs », mais aussi par son projet de mur frontalier entre les deux pays, les internautes postent sur la Toile une kyrielle de dessins humoristiques, certains plutôt acides ; sur l’un d’eux, un Mexicain propose au président américain un piment en guise de suppositoire. Sans compter les nombreux appels au boycott d’enseignes et de produits américains : #AdiosMcDonalds, #AdiosWalmart ou #AdiosCocaCola.

Le 2 février, à Mexico, des centaines de jeunes ont organisé une « flashmob » (mobilisation éclair) sur la place de la Révolution, formant avec leurs corps les lettres des mots « Mexique », « paix » ou « ensemble ». Non loin de là, devant l’ambassade des Etats-Unis, des paysans ont brûlé, le 31 janvier, une statuette en papier mâché à l’effigie de M. Trump lors d’une manifestation contre une hausse du prix de l’essence.

Des actions sporadiques avant une grande mobilisation nationale, prévue le 12 février. Ce jour-là, le collectif Vibra Mexico, qui réunit une trentaine d’associations, d’universités et d’organisations patronales, appelle les Mexicains à chanter ensemble l’hymne national sur les places principales des villes du pays.

« Les Mexicains réagissent à une déclaration de guerre, non pas militaire mais diplomatique, économique et sociale, inédite depuis cent soixante-dix ans », explique Enrique Krauze, historien et directeur de la revue Letras Libres, rappelant que les deux pays ont été en guerre de 1846 à 1848. A l’époque, le Mexique avait cédé d’immenses territoires aux Etats-Unis – comprenant les actuels Etats de Californie, de l’Utah, du Nevada, du Colorado, du Wyoming, du Nouveau-Mexique et de l’Arizona.

Aujourd’hui, la remise en cause par M. Trump de l’accord de libre échange nord-américain (Alena), en vigueur depuis 1994 entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada, représente « un danger énorme pour [l’]économie », selon M. Krauze : 80 % des exportations mexicaines sont destinées au marché américain.

 

« Construisons un pont »

 

Le président américain menace aussi d’expulsion les 5,7 millions de Mexicains qui vivent illégalement aux Etats-Unis. « Trump ravive le fantôme d’un antiaméricanisme adouci grâce à l’Alena, qui avait transformé l’ennemi historique en terre d’opportunités », estime Hector Aguilar Camin, romancier et éditeur de la revue Nexos.

Le 26 janvier, le président Enrique Peña Nieto a annulé sa visite à Washington, prévue cinq jours plus tard, en réplique à la signature par M. Trump d’un décret lançant son projet de mur frontalier et à un de ses Tweet déclarant cette rencontre obsolète si le Mexique refusait de payer la note. Selon un récent sondage du quotidien Excelsior, 69 % des Mexicains ont approuvé la décision du chef de l’Etat.

« Trump est en train de décomplexer les discours racistes d’une partie des Américains contre nous », s’alarme le sculpteur Abraham Cruzvillegas, qui pense que « l’art peut être une arme contre la xénophobie ». Même inquiétude du côté de l’écrivain Jorge Volpi, auteur, entre autres, du Jardin dévasté (Seuil, 2009) : « Trump ne menace pas seulement notre pays ou nos migrants, mais les valeurs de la civilisation occidentale, comme la liberté de la presse, de circulation des personnes et des croyances. »

Les milieux du spectacle, du cinéma, de l’éducation, du sport ou des affaires sont aussi mobilisés, à l’instar du célèbre acteur Gael Garcia Bernal (Carnets de voyage en 2003, La Mauvaise Education en 2004…), qui a lancé un appel teinté d’ironie sur Twitter pour « refuser de payer le mur », troqué contre la « construction d’un pont » entre les deux pays.

Le 29 janvier, lors d’un match de football à Torreon (Nord), les supporteurs des deux équipes ont entonné en chœur l’hymne national à la 16e minute de jeu, en référence au 16 septembre 1810, date de l’indépendance. « Cette unité nationale est la chose la plus surprenante que j’aie vue dans ma vie », a déclaré, le 27 janvier, Carlos Slim. Quatrième fortune mondiale, le magnat des télécommunications a demandé à « tout le pays de soutenir le président ».

Peña Nieto se félicite de ce réveil patriotique. « L’unité nationale doit être la pierre angulaire de notre stratégie, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays », répète le président à chacun de ses discours.

Le 1er février, il a lancé une campagne de promotion du label « Hecho en Mexico » (« fabriqué au Mexique »), invitant ses concitoyens à consommer des produits nationaux. Il est ainsi parvenu à unir derrière lui l’ensemble des responsables politiques. Même son principal opposant, Andres Manuel Lopez Obrador, deux fois candidat de la gauche aux élections présidentielles de 2006 et 2012, a salué son refus de se rendre à la Maison Blanche.

Un succès politique pour le président mexicain ? « Pas du tout, conteste Ixchel Cisneros, directrice du Centre national de communication sociale, une ONG de

défense des droits de l’homme, à l’origine du collectif Vibra Mexico. Le 12 février, les Mexicains chanteront l’hymne national contre Trump, mais aussi contre leur propre gouvernement clientéliste et défaillant qui donne des arguments au président américain pour nous humilier. » D’ailleurs, la cote de popularité de M. Peña Nieto n’est passée que de 11 % à 16 % depuis l’annulation de sa visite à Washington, selon le sondage d’Excelsior.

« Les gens ne sont pas naïfs face à l’opportunisme du président, qui cherche à maquiller derrière l’unité nationale des scandales de corruption et une stratégie diplomatique déplorable », critique l’écrivain et journaliste Juan Villoro. Comme lui, Jorge Castañeda Gutman, ancien ministre des affaires étrangères (2000-2003), dénonce la « faiblesse » du président face à Washington : « Peña Nieto ménage Trump, dont il cherche la protection à la fin de son mandat, en 2018, pour échapper à de possibles poursuites judiciaires au Mexique. »

 

« Un mal pour un bien »

 

Ce manque de fermeté exaspère de nombreux intellectuels, dont l’historien Jean Meyer. « Chaque fois qu’un président mexicain s’est opposé frontalement à son homologue américain, il a gagné le bras de fer, explique-t-il. A l’image de Plutarco Elias Calles [1924-1928], qui a évité, en 1927, une intervention militaire américaine au Mexique en menaçant les Etats-Unis de brûler les puits de pétrole pas encore nationalisés. »

Meyer considère que la crise diplomatique entre les deux pays pourrait, au final, « être un mal pour un bien », obligeant « le gouvernement mexicain à ouvrir davantage le pays au reste du monde et à réduire la pauvreté pour créer un marché intérieur ».

Cependant, l’analyste politique et écrivain Jorge Zepeda Patterson attire l’attention sur les risques d’un patriotisme exacerbé : «C’est une erreur de la part de Peña Nieto de promouvoir le label “Hecho en Mexico” contre “made in USA”, car les enseignes américaines, comme Starbucks, sont des alliés de poids. Au lieu de chercher à négocier avec Trump, le gouvernement devrait d’abord nouer des alliances aux Etats-Unis, où le nouveau président fait face à une opposition croissante. Il suffit d’attendre, car Trump sera lui-même son pire ennemi. » Et M. Krauze de se risquer à espérer « que Trump ne soit pas en mesure de terminer son mandat ».

 

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